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Bribes d'enfance

Je suis née en février 1953 à Paris dans un foyer d’employés d’un grand magasin supposé faire «le bonheur des dames». Pour mon père, j’étais un miracle. La vie avait eu le dessus. Il aima tout de suite sa petite fille très brune aux yeux noirs qui poussa un cri strident dès qu’elle fut libérée du cocon maternel. Ce cri effaçait le silence insoutenable de la naissance de leur premier bébé mort-né et leurs larmes de douleur.

Pour ma mère ce cri fut insupportable, ce bébé était une fille et quand on me posa pleurant et gesticulant sur son ventre, elle me rejeta aussitôt. Elle voulait un garçon pour oublier son petit Bernard silencieux et immobile à jamais. Elle décida de me confier quelque temps à ma grand-mère. Mon père souffrit de cette décision, mais ne dit rien. Dans sa famille, les femmes dirigent depuis plusieurs générations, les hommes pacifistes se taisent pour éviter le conflit : penser, intérioriser, laisser faire

Bébé avec mon papa

Bébé avec mon papa

Avec ma mère et ma grand-mère (photo qui je trouve parle beaucoup plus que mes mots)

Avec ma mère et ma grand-mère (photo qui je trouve parle beaucoup plus que mes mots)

Avec Papa en vacances en Bretagne

Avec Papa en vacances en Bretagne

J’ai donc passé une grande partie des premières années de ma vie chez Jeanne, ma grand-mère paternelle, qui me couvrit d’affection et de tendresse. Elle n’avait eu qu’un fils et je la comblais de bonheur.

Avec ma grand-mère

Avec ma grand-mère

Jeanne, à 53 ans, s’ennuyait à Paris dans sa loge de concierge avec mon grand-père très effacé, silencieux et triste. Sa Bretagne natale lui manquait. En cirant à genoux les marches des six étages de l’escalier de l’immeuble, elle rêvait des côtes de granit que les vagues déchaînées viennent frotter.

Elle avait vu le jour en 1900 à Quimper dans une famille pauvre. Son père exerçait le métier de charron. Elle était l’aînée de 6 enfants et s’était occupée ensuite de ses frères et sœurs. Puis elle avait dû travailler jeune, elle était devenue femme de chambre, gouvernante chez des notables.

Elle était particulièrement fière d’avoir servi le petit-fils du Maréchal d’empire Exelmans et du certificat qu’il lui avait établi quand elle était partie : «Intelligente et dévouée, telle la jugeait Madame Exelmans et telle je la juge moi-même».

Elle était tombée amoureuse de Jean, mon grand-père, un beau facteur, s’était mariée et avait dû le suivre au fur et à mesure de ses mutations.

C’est dans le Loir-et-Cher à Gièvres que mon père naquit en 1921. Ensuite ils quittèrent cette campagne pour Paris et s’installèrent comme beaucoup de Bretons à proximité de la Gare Montparnasse.

Mon père, bien qu’il travaillât très bien à l’école, leur donna beaucoup de soucis, car il était de santé fragile. Il attrapa la diphtérie, ce qui l’obligea à renoncer à son désir d’être instituteur. Par idéal anticommuniste, il s’engagea dans la guerre d’Indochine. Trop sensible, il revint traumatisé par les atrocités de cette guerre.

Mon grand-père Jean avait de grosses lunettes d’écaille et gardait toujours sur sa tête un vieux béret noir de feutre râpé. Il était peu démonstratif, n’embrassait pas, ne caressait pas, mais était d’une grande bonté. Il m’aimait à sa façon, en silence. Il m’accompagnait parfois au parc Montsouris. Penché au-dessus du bassin, il faisait voguer un petit voilier sur l’eau en me chantant doucement «Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes».

Bribes d'enfance

Mamie m’emmenait souvent à la Samaritaine. Nous y allions en bus. J’aimais rester sur la plate-forme arrière et regarder les rues défiler, les passants pressés, les automobiles. La traversée de la seine au pont neuf me plaisait particulièrement. Je contemplais les bateaux-mouches et les péniches naviguer.  La Samaritaine si imposante avec son toit en coupoles me fascinait. Nous prenions les escaliers mécaniques et nous arpentions les rayons aux vieux planchers de bois. Ma grand-mère avec les bons de la Semeuse m’achetait des robes, de jupes des pulls, des manteaux et de jouets.

Le soir, dans l’unique petite pièce de la cheminée, bien au chaud dans mon lit, je rêvais de princes charmants et de princesses.

Je garde de cette période un souvenir présent, mais très estompé, mes parents me reprirent dans leur studio de la rue Saint-Sébastien dans le 11e. Dans la journée, ils travaillaient et me confièrent à des voisines. je me rappelle toujours de l’une d’entre elles, Hélène, que j’aimais beaucoup. Elle était Israélienne et avait un garçon plus grand que moi qui m’aimait comme une petite sœur. Tata Hélène, c’est ainsi que je la nommais, me couvrit d’affection, tel sait le faire une mère juive. Puis dès que j’eus l’âge d’aller à l’école, je revins chez ma grand-mère.

Je passais tous mes étés chez ma tante Germaine à La Rochelle et son amie de toujours que j’appelais Tatie Jo. Elles me gâtaient beaucoup et j’ai gardé de ces étés un souvenir encore aujourd’hui très présent et l’envie de vivre les dernières années de ma vie dans cette ville. Mon père et ma grand-mère m’y rejoignaient parfois. Nous allions à la plage tous les après-midis.

Avec Tatie Joe et sa maman dans le parc de La Rochelle sur le chemin de la plage

Avec Tatie Joe et sa maman dans le parc de La Rochelle sur le chemin de la plage

À quatre ans, je rentrais à l’école privée Sainte-Elizabeth dans le 14e arrondissement.  Je me souviens encore de la cour carrée avec le grand préau à l’ancienne. J’étais une petite fille timide, bien élevée, calme et j’avais souvent la croix de mérite que j’étais fière d’afficher avec son joli ruban sur mon tablier d’écolière.  Une fois même j’eus la croix d’honneur et pour me récompenser ma grand-mère m’offrit une belle poupée Bella que j’appelais Laurence. Ce sera plus tard le prénom que j'ai donné à ma fille. 

Ecole Ste Elisabeth/Paris 14e  (Avril 1959) Je suis la 3e en haut à partir de la gauche.

Ecole Ste Elisabeth/Paris 14e  (Avril 1959) Je suis la 3e en haut à partir de la gauche.

Mamie m’avait appris la lecture et l’écriture et, à cinq ans, je savais déjà lire. À six ans, j'intégrais directement au cours élémentaire en sautant le cours préparatoire. Mon père me rendait visite le week-end et j’attendais sa venue avec impatience. Parfois, je rentrais chez mes parents, mais pas souvent, car c’était loin. Ils avaient quitté Paris pour emménager dans un appartement deux-pièces en banlieue, à Rueil-Malmaison, parce que ma mère était enceinte. J’eus donc une sœur, Christine, en mars 1959. Pauvre maman, encore une fille.  Je ne savais pas que j’allais bientôt les y rejoindre et que ce serait la fin de ce que j’appelle les années «bonheur» de mon enfance, celle d’une fillette qui n’avait qu’un seul défaut, celui de ne pas être un garçon.

Avec ma petite sœur

Avec ma petite sœur

Martine Martin-Cosquer / Réédition pour cause de pause famille Pour le Défi 282 des croqueurs de mots animé par Rose 63 (thème : parler de son enfance)

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E
Vraiment très émouvant. Merci Martine pour ces confidences d'enfance.<br /> Ma chère maman m'amenait aussi bien souvent à la Samaritaine. J'ai un attachement tout particulier pour le Pont Neuf, le Quai de la Mégisserie avec ses oiselleries, la Place Dauphine. <br /> Merci pour cette belle page.
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E
Tu racontes bien tes souvenirs d'enfance. Bonne journée et bisous
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R
On retrouve une partie de ton livre ici mais encore mieux car plus détaillé........Bisous bonne journée
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C
Bonjour Martine,<br /> Merci pour ces touchants souvenirs. Une maman, c'est tellement important pour la période de l'enfance, hélas !!! Tu as eu cependant, une grand-mère extraordinaire ; ta chance !!! Superbes, tes photos. Je découvre les deux dernières. Merci pour ce beau partage.<br /> Bisous♥
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J
voilà un sujet qui t'a inspiré l'envie de nous faire partager cette enfance bien cahotée. Merci de ce partage. Bises
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J
Merci Martine pour ce récit très émouvant , des pans de ton enfance qui t'ont marquée , on le serait à moins . Tu as raison cette photo où tu tiens la main de ta mère et de ta grand mère est tres parlante , on y voit vraiment le rejet dont tu fais l'objet.<br /> Bon lundi <br /> Bises
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E
Que de beaux souvenirs d'enfance partagés avec nous merci et tu as la chance d'avoir quelques photos sur lesquelles on te reconnait bien. Bises
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M
Bonjour Martine,<br /> Ils sont bien émouvants tes souvenirs d'enfance.<br /> Et j'aime bien ces vieilles photos.<br /> Bises.<br /> Bon après-midi,<br /> Mo
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.
gros bisous Martine..............
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A
Ton enfance est encore très présente.<br /> Ma poupée s'appelait Florence. Ma sœur ressemblait un peu à ta dernière photo.<br /> Bises et bons moments en famille.
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M
Récit très émouvant ... mais parfois mettre des mots estompe les maux ...<br /> Belle et douce journée
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D
Un récit émouvant, tu as été très entourée mais une mère manque toujours.<br /> Très belle journée.<br /> bises
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M
Des souvenirs émouvants. C'est certain que ta maman souffrait de dépression ce n'est pas facile car en ce temps là c'était tabou d'en parler...Bisous profite bien de tes petites-filles
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Z
Magnifique tranche de vie en partageant des souvenirs de jeunesse Martine. Merci d'avoir illustré ton récit de très belles photos.<br /> Bises et bon début de semaine - Zaza
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A
Kikou Martine.<br /> Quel bonheur avec ceux qui t'aimait.<br /> Mais quelle tristesse avec cette maman qui t'a rejeté.<br /> Oui, la première photo parle d'elle même.<br /> Mais tu gardes de bons souvenirs de ceux qui t'aimait et que tu aimais.<br /> <br /> Bisous Martine
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J
Bonjour Martine, une maman marquée par la perte d'un enfant qui rejette le second parce que une fille... pas drôle à vivre et merci à la grand-maman qui prit le relais... A chacun son passé, parfois de quoi écrire un livre.... bon lundi, bises JB
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