La complainte d'une tamalou

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Elle s’en tamponne le coquillard de la proposition de sa fille de partir une semaine à Athènes avec elle. Elle ne la comprend pas, cela lui fait une belle jambe (pleine de varices) d’aller en Grèce continentale, même pas en Crète ou elle pourrait tester le régime crétois pour se débarrasser de sa ~~Grèce~~ graisse.

Les années passent, elle a beaucoup changé. Son corps, cette machine, se grippe et s’use. Il aurait besoin de la révision des 90 balais. Elle doit se rendre à l’évidence, elle est une « tamalou ». Tu as mal où ? Partout.

Rassurez vous, elle n’a pas encore perdu la vue, même si elle ne voit et ne dort plus que d’un seul œil. C’est la raison pour laquelle elle a renoncé à faire de l’œil aux beaux papis. Elle n’a pas besoin de cela pour leur taper dans l’œil.

Comme elle n’a plus bon œil, vous pouvez imaginer qu’elle n’a plus bons pieds non plus, ils sont fourbus, pleins de cors. Elle ne se demande pas sur quel pied elle va danser : aucun, foutus tous les deux. Elle ne fait plus du pied aux papis sous la table de la salle à manger. Pour se venger, elle prend son pied, avec ses ragots qui cassent les pieds de ses vieilles copines d'infortune dont beaucoup d’entre elles affichent un état avancé de sénilité. Quelle chance ! sa langue de vipère fonctionne toujours autant et elle ne l’a pas dans sa poche.

Elle n’a pas encore perdu la tête, heureusement, car sinon il lui serait impossible de faire la tête aux aides-soignantes bêtes comme leurs pieds. Elle ne tiendrait plus tête à ses têtes à claques quand elles veulent lui faire boire de l’eau de force.

Sa chambre est une étuve l’été et l’hiver elle y gèle ses fesses toutes rabougries. Sa copine Charlotte lui assène qu’elle doit arrêter de dormir nue le cul à l’air. Elle ferait mieux de se mêler de ses fesses que de s’occuper des siennes.

Elle a le cœur brisé quand certaines compagnes d’infortune, avec la bouche en cœur, lui reprochent son cœur de pierre. Cela doit être pour cela que son palpitant résiste encore aux assauts du temps et qu’il bat encore la chamade pour Marcel, un nonagénaire dynamique et drôle qui la fait rire de bon cœur. Mais c’est faux, elle est une grande affective qui a le cœur sur la main, façon de parler, car ses mains arthritiques ne peuvent plus supporter de porter quoi que ce soit.

Pour finir sur une note positive, elle a gagné pourtant en vieillissant. Quoi ? De la graisse ! À 90 ans, elle a toujours l’estomac dans les talons, la descente d’organe ne s’arrange pas avec les années ! Elle a envie de perdre du poids et ferait bien un régime, mais elle a peur de l'échec, non, pas de bide… vide. Les diététiciens conseillent de manger cinq fruits et légumes par jour, mais lesquels ? Il existe une différence de taille entre une cerise et un potiron. Elle rapetisse à vue d’œil et la graisse s’accumule sur le peu de chair qui lui reste. À chaque fois, avant de se peser, elle s’épile et va aux toilettes pour s’alléger. Elle hait le pèse-personne, cette « sale balance », car il devrait garder son poids pour lui sans le communiquer à elle et au médecin qui l’a forcée à monter dessus. Elle est retombée en enfance ; finie la liberté, elle doit obéir au doigt et à l’œil.

Elle rêve de s’évader. Elle a parlé à sa fille de son envie de quitter cet EHPPAD où elle l’a enfermée de force pour se débarrasser d’elle comme on jette un meuble usé qui ne sert plus. Elle veut retourner vivre dans sa maison au beau jardin. Elle lui a répondu que, pour ses 90 ans, afin de lui changer les idées, elle allait l’emmener au soleil avec elle une semaine à Athènes en Grèce. Même si elle veut prendre ses jambes pleines de fourmis à son cou pour se sauver, elle préfère rester à la maison de retraite pour préparer sa fuite avec son beau Marcel.

Martine Martin / Pour le nid de mots d'ABC