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Portrait d'un amnésique en devenir

Portrait d'un amnésique en devenir

Hervé est né le neuvième jour du neuvième mois de l’année 1999 dans le département 09. C’est le seul garçon, le cinquième enfant et le cadet d’une famille d’agriculteurs de la Plaine Ariégeoise.

C’est un enfant à la fois rêveur, hyperactif et casse-cou. Il n’a peur de rien, même pas des loups sortis des contes que sa mère lui raconte chaque soir pour l’endormir. Il aime les loups parce qu’on les déteste et qu’il prend toujours la défense de ceux qu’on n’aime pas. À défaut d’en posséder un comme doudou (personne n’oserait offrir un loup en peluche à un enfant), il reprend sa maman quand elle dit le grand méchant loup

– Non maman, c’est le grand doux

– Si tu veux mon chéri, c’est « le grand méchant doux », lui répond-elle en souriant

Vivant dans une ferme, il aime tous les animaux. Il sort le soir dans la grande cour pour observer les étoiles, repérer la Grande Ourse. Parfois il entend le grand-duc hululer et il guette le cri de la chouette. Il essaye d’imaginer ce que ces oiseaux de nuit peuvent se raconter. Peut-être que ce grand-duc, prince des noctambules ailés, se demande : Qui est le prince des hommes ? Peut-être qu’il croit que c’est son papa, le seul homme adulte dans cette ferme, mais, lui Hervé, sait que son père n’est pas un prince, mais un simple agriculteur. Il se demande si le prince des hommes pourrait être Jésus à qui sa maman parle souvent et qu’il ne voit jamais. Les princes sont invisibles. Chaque dimanche elle se rend dans l’église verte du village qui aurait bien besoin d’une toilette pour la débarrasser de la mousse qui la recouvre. Elle prie en chœur avec les autres fidèles et répète toujours les mêmes litanies en faisant le signe de croix de sa main droite : « Au nom du père, au nom du fils et du Saint-Esprit. Qui est ce Saint-Esprit ? Quand Hervé a posé la question à son papa, il lui a répondu, la cigarette coincée au coin des lèvres :

– Je ne sais pas mon fils qui est ce Saint-Esprit dont ta maman parle souvent et qu’elle aime tant. Je ne vais pas à la messe, je ne l’ai jamais rencontré. Ce que je crois, c’est que chacun a le droit de chérir et vénérer les saints qu’il veut.

– Quels sont les Saints que tu aimes et pries Papa ?

– Tu me demandes Hervé parmi les saints qui j’ose aimer et prier ? Je n’en prie aucun, mais chapeau bas pour le Saint Nectaire et un second que tu ne connais pas et que tu aimeras peut-être plus tard le Saint-Émilion dont il ne faut surtout pas abuser.

Les grandes personnes sont parfois étranges, se dit Hervé qui n’a pas bien compris, un saint pouvait-il être un fromage ? Et qui était ce Saint-Émilion qu’on peut aimer, mais pas trop tout de même ?

Il aime monter sur les poneys et les chevaux. Il eut beaucoup de chagrin à la mort du petit cheval que son père lui avait offert à Noël et qui serait son premier et dernier cheval. Il le gardera dans un petit coin de son cœur toute sa vie.

Il rentra un jour des champs en brandissant une vipère au poing, ce qui avait effrayé sa mère qui l’avait puni en le privant une semaine de télévision.

Il ne supporte pas qu’on puisse tuer les lapins du clapier et les volailles pour déjeuner et refuse d’en manger. Il proteste auprès de sa mère quand elle prononce la phrase magique de rassemblement “plumons l’oiseau” pour qu’il l’aide avec ses sœurs à plumer et vider les poules qu’elle vient de tuer et qu’elle vendra au marché.

Curieusement, il aime aider sa maman à les cuisiner. Mettre le beurre ou l’huile sur le feu, ajouter des oignons et les morceaux de viande dans la poêle, écouter le crépitement, humer l’odeur aigre-douce qui envahit la cuisine et réjouit ses sens. Plus tard, il souhaite être chef dans un restaurant ou écrivain. Cuisiner les mots est aussi un vrai plaisir pour lui. Il écrit de petits poèmes pour sa maman, son papa et ses sœurs qu’il aime bien même s’il est souvent leur bouc émissaire.

Quand il était petit, il aimait feuilleter le bel abécédaire des animaux que sa grand-mère lui avait offert. Il admirait ses jolies lettres aux traits si fins enluminés. Il le regarde encore aujourd’hui en pensant à sa mamie qui a déménagé au ciel. Aujourd’hui, il lit chaque soir dans son lit les aventures du club des cinq, de Tom Sawyer ou des quatre filles du Docteur March. Ayant quatre sœurs, il plaint le pauvre Docteur March vivant, comme lui et son père, le matrimoine et ses affres au quotidien sans y être préparé. L’école des pères, des maris et des frères n’existe pas pour former les hommes aux bonnes attitudes à avoir face aux réactions féminines aussi insolites qu’inattendues. Préférant les hommes, il ne se mariera pas avec une femme, il n’ira pas déposer les bans dans le bureau des mariages du village. Il n’ira pas non plus consulter un médecin, le conseiller du cœur pour savoir pourquoi il n’est pas tout à fait comme les autres. Il taira ces choses. Il a compris qu’on ne les dit pas quitte à finir sa vie, caché en ville, dans une mansarde à louer pour consumer dans l’anonymat l’amour interdit.

Il serait très heureux s’il n’avait pas souvent des crises de migraines qui le font beaucoup souffrir. C’était comme si son crâne était écrasé, brûlé dans un étau, au point d’avoir envie se taper la tête contre les murs pour qu’un feu dévore un autre feu. Ce mal le fait devenir fou. Heureusement que c’est la fin des asiles, sinon il aurait des chances d’y finir sa vie.

Quand il a ses humeurs, il a beau implorer le Jésus de sa maman, celui qui, contre vents et marées, proclame lève-toi et marche à une personne paralytique et, ô miracle, celle-ci se met à marcher. Lui continue à garder ses horribles migraines ! C’est la malédiction du neuf ! Il a une tête fragile en forme de “nœunœuf”, quoi de plus naturel pour le fils d’un éleveur de volailles qui rêve d’une tête neuve pour lui dans la hotte du père Noël auquel il ne croit plus. Mais il se plait à rêver qu’un jour il remplacera sa tête cassée et qu’il ne souffrira plus. S’il avait une tête neuve, il est fort probable qu’il ne se souviendrait plus de rien. Il écrit donc ce journal pour conserver les souvenirs d’un amnésique en quête d’avenir qui ne veut surtout pas devenir un des bienheureux de la désolation, ces hommes à qui il ne reste plus que le démon de minuit ou de midi pour leur donner une illusion fugace de renaissance et de bonheur.

 

Martine pour le Nid de mots d’ABC (thème : faire le portrait d’un personnage). Réédition d’un texte de Quai des rimes que j’avais écrit avec une contrainte particulière à voir ici

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A
Je suis bien d'accord avec le jeune garçon : les adultes sont bien étranges. Très joli texte à lire et relire
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M
Magnifique texte de ce garçon et ses non-dits.<br /> Tout autre chose... je t'ai répondu sur mon blog pour Piquet mais finalement j'aurais mieux fait de le faire ici - cet endroit est situé sur la commune du Tablier - tu peux aussi y accéder par celle de Chaillé-sous-les-Ormeaux, dans ce cas il te faudra traverser le pont de bois pour rejoindre la filature et le coin le plus intéressant de ce chaos de Piquet - bonne journée - bisous
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M
Un joli portrait de ce petit garçon que tu as bien fait de rééditer. Bisous et une très belle semaine
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F
Un gentil garçon ;il n'a pas de chance de souffrir de migraines. C'est difficile d'aimer les animaux et de les voir tuer pour se nourrir. Bonne soirée
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F
Un gentil garçon ;il n'a pas de chance de souffrir de migraines. C'est difficile d'aimer les animaux et de les voir tuer pour se nourrir. Bonne soirée
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C
Bonjour Martine,<br /> Excellente réédition pour relever ce défi !!! Bravo et bon week-end. Bisous♥
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J
Une nouvelle tres intéressante avec plusieurs sujets de réflexion abordés , tu as bien fait de la rediffuser <br /> Bon vendredi <br /> Bises
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A
J'ai aimé lire ton texte. Un être dont je lirai l'histoire sur plusieurs chapitres. Une vipère au poing, il n'a pas peur ! Bises
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J
une réédition fort à propos Martine, même si je confesse avoir offert un doudou-loup oui il en existe ... bises et belle fin de semaine
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J
ps vu ton comm chez abc qui a raison. Ton point de vue sur la question a son importance : heureusement qu'il n'est pas obligatoire d'aimer la musique pour être heureux en amour !!!!
A
Martine, pour le prochain sujet, j'ai bien noté mais si le cœur t'en dit et le temps aussi, remarque que le thème commence bien par "Si".... Cela te laisse une bonne porte de sortie :-)
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A
Merci pour cette rediffusion, les souffrances de l'enfance laissent des traces indélébiles pour la vie entière, Hervé en porte le poids , j'ai lu en me disant puisse-t-il trouver du réconfort auprès de la nature et des animaux, à défaut des humains...
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E
Bonjour Martine. C'est un joli portrait que tu as bien fait de reéditer. Bonne journée et bisous
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Z
C'est une superbe réédition Martine que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.<br /> Bises et bon vendredi - Zaza
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J
Ok... un Hervé conu un jour, mais qui a souffert enfant, merci Martine, bises
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